Depuis 2017, la France a expérimenté l'étiquetage de l'origine géographique du lait pour les produits laitiers. Cependant il y a quelques semaines, cette obligation règlementaire a été annulée par le Conseil d’État, suite à un recours du groupe Lactalis. L’argumentation du géant laitier consiste à dire que cette obligation était contraire au règlement du 25 octobre 2011 du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires1.
En effet, d’après l’Union Européenne,
1. Il n’y a pas de différence de propriétés entre un lait UE et non UE.
2. Les consommateurs ne sont pas majoritairement demandeurs de l’information sur l’origine géographique de production du lait.
Il n’est pas obligatoire d’avoir l’information sur l’étiquette. L’opacité est donc un droit.
Pourtant, l’UE a bel et bien statué sur l’obligation d’indiquer l’origine géographique pour la “viande bovine et les produits à base de viandes bovines à la suite d’une crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine [qui] a créé une attente de la part des consommateurs.2” Faut-il attendre une bonne crise du lait pour légitimer le besoin de différenciation sur l’origine des produits laitiers ?
Cette information est présente dans chaque étape de traçabilité nécessaire et obligatoire qui suit les produits alimentaires. Pourquoi est-il aussi difficile d’y avoir accès ?
Pour quelles raisons le groupe Lactalis ne choisit-il pas délibérément de donner accès à cette masse d’informations qu’il détient nécessairement sur les produits ?
A l’heure du numérique, de la blockchain, de la 5G, et de l’ultra-performance des systèmes de traçabilités alimentaires qui permettent de remonter le fil de production d’une barre de céréale au lot de blé cultivé dans la parcelle 63 de monsieur Michu au fin fond de la Beauce, il est difficile de concevoir qu’informer les consommateurs sur l'origine du lait – techniquement convertir un numéro de lot – soit inaccessible pour une entreprise d'envergure mondiale.
D’autant que de nombreux outils numériques existent pour gagner en transparence et laisser la liberté aux consommateurs d'accéder à l’information… Nous avons vu l’apparition du Nutri-score qui donne une indication approximative et plus lisible sur la valeur nutritive du produit ou de systèmes un peu plus aboutis via le code barre comme Open Food Fact et Yuka. Mais ce sont des solutions qui renseignent sur la dimension nutritionnelle d’un produit. Aujourd’hui, les moyens d’élargir le spectre des informations liées à un produit sont immenses - en intégrant des données environnementales, sociales et économiques propres à chaque produit.
Pourquoi s’en affranchir ? Ce serait très OMD3 , non ?
1 RÈGLEMENT (UE) N o 1169/2011 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) n o 1924/2006 et (CE) n o 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) n o 608/2004 de la Commission. Extraits sélectionnés : (18) Pour que la législation concernant l’information sur les denrées alimentaires puisse s’adapter à l’évolution des besoins des consommateurs en la matière, il convient, au moment d’envisager la nécessité de mentions obligatoires, de tenir compte de l’intérêt largement manifesté par la majorité des consommateurs à l’égard de l’indication de certaines informations. (19) Cependant, toute nouvelle exigence concernant des informations obligatoires sur les denrées alimentaires ne devrait être établie qu’en cas de nécessité, conformément aux principes de subsidiarité, de proportionnalité et de viabilité.
2 Ibid., (38) : L’indication de l’origine est actuellement obligatoire pour la viande bovine et les produits à base de viande bovine (1) dans l’Union à la suite de la crise due à l’encéphalopathie spongiforme bovine et cela a créé une attente de la part des consommateurs. L’analyse d’impact effectuée par la Commission confirme que l’origine de la viande semble être la préoccupation première des consommateurs. D’autres viandes sont largement consommées dans l’Union, comme la viande porcine, ovine, caprine et la viande de volaille. Il est donc approprié d’imposer une obligation de déclaration d’origine pour ces produits. Les exigences particulières relatives à l’origine pourraient différer d’un type de viande à un autre en fonction des caractéristiques de l’espèce animale. Il convient de prévoir l’élaboration, dans le cadre des modalités d’application, d’exigences obligatoires pouvant varier d’un type de viande à un autre en tenant compte du principe de proportionnalité et de la charge administrative que cela impliquerait pour les exploitants du secteur alimentaire et les autorités chargées de faire appliquer la législation.
3 “Objectifs du Millénaire pour le développement”